La tularémie : une zoonose rare et dangereuse

La tularémie est une maladie infectieuse rare mais grave, causée par la bactérie Francisella tularensis. Connue aussi sous le nom de « fièvre du lapin », cette zoonose touche principalement les lagomorphes et les rongeurs, mais peut également affecter une grande variété d’autres animaux et les humains.

Quel est l’agent infectieux responsable ?

La tularémie est une zoonose causée par la bactérie Francisella tularensis. Ce petit coccobacille est Gram négatif, pléomorphe, aérobie, non mobile et non sporulé.

Il existe deux sous-espèces principales : F. tularensis subsp. tularensis (type A) et F. tularensis subsp. holarctica (type B). La sous-espèce tularensis est la plus virulente. Moins de dix cellules bactériennes provoquent une infection. Elle se trouve principalement en Amérique du Nord, associée aux lagomorphes. La transmission se fait par les tiques et les mouches piqueuses.

En revanche, la sous-espèce holarctica est moins virulente. Elle est présente en Eurasie et en Amérique du Nord. La transmission se fait par les rongeurs aquatiques, les arthropodes, ou par ingestion d’eau et d’aliments contaminés.

Les réservoirs principaux de Francisella tularensis sont les lagomorphes et les rongeurs. Cette bactérie peut aussi être détectée chez divers arthropodes (tiques et moustiques) jouant un rôle crucial de vecteurs. Les tiques, en particulier celles du genre Dermacentor, sont les vecteurs les plus compétents pour la transmission de la tularémie. La bactérie est extrêmement résistante au stress environnemental, survivant plusieurs mois dans l’eau, le sol et les cadavres à basse température. Elle est sensible à la chaleur et à de nombreux désinfectants comme l’hypochlorite de sodium, l’éthanol et le formaldéhyde.

Francisella tularensis est une menace biologique potentielle et figure sur la liste des Microorganismes et Toxines (MOT) hautement pathogènes. La bactérie cible principalement les macrophages et les cellules dendritiques, se répliquant dans le cytoplasme des cellules infectées et induisant une nécrose tissulaire. La virulence de la bactérie est liée à sa capacité à manipuler l’immunité de l’hôte, échappant à la détection initiale et se propageant via les ganglions lymphatiques vers divers organes.

Comment se manifeste cette maladie chez l’animal ?

La tularémie affecte principalement les lagomorphes (lapins et lièvres) et les rongeurs, mais une grande variété d’autres mammifères, oiseaux, poissons, amphibiens et arthropodes peuvent également être infectés. En Europe, les foyers de tularémie sont souvent sporadiques, touchant surtout les animaux sauvages tels que les lièvres et les rongeurs.

Chez les animaux sensibles, la maladie se caractérise par une fièvre élevée, une dépression et souvent une septicémie. Les animaux infectés présentent des signes de léthargie sévère suivie d’une septicémie mortelle, la maladie évoluant rapidement en deux à dix jours. À l’autopsie, les lésions sont souvent peu spécifiques, se manifestant par une congestion généralisée et une hypertrophie du foie et de la rate.

Les tiques hématophages jouent un rôle crucial dans le maintien et la transmission de F. tularensis dans la nature. La plupart des animaux domestiques ne montrent généralement pas de signes cliniques de tularémie, bien qu’ils puissent développer des anticorps spécifiques après infection.

Chez les animaux domestiques, les chats sont plus susceptibles de développer des signes cliniques de la tularémie que les chiens. Les chats transmettent la maladie aux humains par morsure ou griffure. Les chiens le font par contact facial étroit, tiques ou carcasses récupérées. La maladie chez les animaux varie de formes aiguës à chroniques. Les formes aiguës évoluent vers une septicémie et la mort en quelques jours. Les formes chroniques dépendent de la dose infectante.

Les symptômes chez les animaux incluent une forte fièvre, une léthargie, des douleurs musculaires et articulaires. Parfois, on observe des diarrhées et de la toux. Chez les animaux sauvages, la tularémie est peu connue. Cependant, une mortalité élevée chez les lièvres indique des épidémies.

Quel est son mode de transmission ?

La tularémie se transmet par plusieurs voies, principalement par contact direct avec des animaux infectés ou par des vecteurs arthropodes tels que les tiques et les moustiques. La transmission peut se faire par voie cutanée, respiratoire, conjonctivale ou digestive.

Par voie cutanée, la bactérie peut pénétrer à travers la peau saine par contact direct avec des animaux contaminés, des fourrures, des organes, ou à travers une plaie (épine, écharde) ou une morsure de tique. Cette voie est fréquente chez les chasseurs, les gardes-chasse et les forestiers qui manipulent régulièrement du gibier.

Par voie respiratoire, l’inhalation de poussières contaminées par des déjections de petits mammifères ou par des cadavres peut également transmettre la tularémie. Cette transmission est courante dans les environnements de travail où la manipulation de fourrages, de céréales ou de litières souillées est fréquente.

Par voie digestive, la consommation d’eau contaminée ou de viandes insuffisamment cuites provenant d’animaux infectés est une autre voie de transmission. Cette voie de contamination est particulièrement préoccupante dans les régions où les ressources en eau potable sont limitées.

Les personnes à risque incluent les professionnels travaillant en contact direct avec les rongeurs sauvages ou le petit gibier, les vendeurs d’animaux, le personnel de laboratoire vétérinaire, et les taxidermistes. La transmission peut également se faire par ingestion d’aliments ou d’eau contaminés, par morsure ou piqûre d’arthropodes infectés, ou par inhalation d’aérosols ou de poussières contaminés.

La tularémie est hautement contagieuse, mais il n’y a pas de transmission directe d’une personne à l’autre. La bactérie peut persister dans l’environnement et chez les vecteurs arthropodes, comme les tiques, tout au long de leur vie.

Quels sont les symptômes de cette infection chez l’Homme ?

Chez l’homme, la tularémie se manifeste sous deux formes principales selon la voie d’entrée. L’infection locale se produit après une piqûre ou un contact avec des animaux infectés. Elle se caractérise par des ulcères ou des abcès et un gonflement des ganglions lymphatiques. L’infection généralisée survient après ingestion ou inhalation de l’agent infectieux. Elle peut entraîner des complications sévères comme l’atteinte des poumons, du tube digestif ou du cerveau. La maladie débute après une incubation de 3 à 15 jours, avec une fièvre élevée, des frissons, un syndrome grippal, des myalgies, des arthralgies, des céphalées, parfois des nausées, des vomissements et des diarrhées.

Les formes cliniques de la tularémie dépendent de la porte d’entrée de l’agent causal :

  • La forme ulcéro-ganglionnaire (80 à 90 % des cas) : inflammation locale au point de pénétration, évoluant en ulcération nécrotique et adénopathie régionale.
  • La forme ganglionnaire : adénopathies régionales sans atteinte cutanée.
  • La forme oculo-ganglionnaire : conjonctivite avec adénopathies régionales après contact oculaire.
  • La forme oropharyngée (surtout chez les enfants) : ingestion d’aliments ou d’eau contaminés, stomatite, pharyngite ulcéreuse et adénopathies cervicales.
  • La forme pleuro-pulmonaire : inhalation d’aérosols contaminés, toux sèche, bronchiolite, pleuro-pneumonie et détresse respiratoire.
  • La forme typhoïdique ou septicémique : fièvre élevée, céphalées, malaise, vomissements, diarrhées et douleurs abdominales.

La létalité de l’infection par la sous-espèce tularensis peut atteindre 30 % sans traitement, tandis que celle de la sous-espèce holarctica est inférieure à 1 %. La réponse immunitaire, avec les anticorps spécifiques IgM, IgA et IgG, est cruciale pour la défense contre cette bactérie.

Comment s’effectue le diagnostic ?

Le diagnostic de la tularémie pose des défis importants. Isoler la bactérie par culture directe reste difficile. Même en grande quantité dans le pus ganglionnaire, obtenir un développement sur milieu de culture est rare. Les hémocultures sont généralement négatives. Pour améliorer la sensibilité et la rapidité du diagnostic, on recommande d’inoculer le prélèvement à une souris ou un cobaye. Ensuite, on sub-cultive la rate de l’animal sacrifié.

Le sérodiagnostic est crucial pour diagnostiquer la tularémie. Cependant, les tests sérologiques ne se positivent qu’après deux semaines de maladie. La méthode de séro-agglutination de Wright, utilisant une suspension de Francisella tularensis tuée, est couramment utilisée. La sérologie peut rester positive pendant plusieurs années. Il est donc nécessaire d’observer une ascension significative des titres d’anticorps pour diagnostiquer une infection aiguë.

Les prélèvements biologiques pour le laboratoire de bactériologie incluent les sérosités au point d’inoculation. On prélève également les exsudats oculaires ou pharyngés, les crachats, et le liquide pleural. On peut identifier la bactérie par immunofluorescence directe ou immunohistochimie, mais ces techniques restent rares.

La PCR (polymerase chain reaction) amplifie et détecte l’ADN de F. tularensis, offrant un diagnostic précoce en cas de forte présomption clinique. Cette méthode réduit les risques de contamination associés aux cultures bactériennes. L’isolement de la bactérie à partir de prélèvements cliniques (lésions cutanées, ponctions ganglionnaires, sang, liquide céphalo-rachidien) reste possible. Cela exige cependant des laboratoires de haute sécurité (P3).

Quel est le traitement adapté ?

Le traitement de la tularémie repose sur une antibiothérapie appropriée, qui doit être administrée le plus rapidement possible après le diagnostic pour éviter les complications sévères. Les antibiotiques de première ligne incluent les aminosides (gentamicine, streptomycine), les fluoroquinolones (ciprofloxacine) et les tétracyclines (doxycycline).

Les aminosides traitent efficacement les formes systémiques graves de la tularémie, tandis que les fluoroquinolones et les tétracyclines conviennent aux formes moins sévères ou en relais per os. La streptomycine et la gentamicine sont les antibiotiques de choix, bien qu’il n’existe pas de résistance acquise connue pour Francisella tularensis à ce jour.

Les formes cliniques modérées nécessitent un traitement oral à base de fluoroquinolone (ciprofloxacine 500 mg deux fois par jour ou ofloxacine 400 mg deux fois par jour) ou de doxycycline (100 mg deux fois par jour) pendant 14 jours. Les formes sévères peuvent nécessiter l’association de deux antibiotiques, par exemple un aminoside et une fluoroquinolone.

En cas de suppuration ganglionnaire, une exérèse chirurgicale du ou des ganglions atteints peut être nécessaire en plus du traitement antibiotique. Le ministère de la Santé français recommande l’hospitalisation des patients présentant des formes cliniques sévères ou systémiques de la tularémie.

Aux États-Unis, un vaccin contre la tularémie est disponible, bien qu’il ne soit pas encore homologué pour un usage humain ou animal en Europe. L’hospitalisation des patients dépend de la sévérité clinique et du sous-type de F. tularensis responsable des symptômes.

Quels sont les moyens de prévention disponibles ?

La prévention de la tularémie repose sur des mesures collectives, individuelles et professionnelles. Pour les animaux, le contrôle sanitaire à l’importation est essentiel. Un certificat sanitaire et une quarantaine sont nécessaires. Isoler les animaux avant leur introduction dans un lot de gibier ou en animalerie est crucial.

Pour les humains, la formation et l’information des salariés sur les risques de la tularémie sont indispensables. Les mesures d’hygiène et de prévention doivent être appliquées. Fournir de l’eau potable, du savon, des essuie-tout à usage unique, et une trousse de première urgence est nécessaire.

Les équipements de protection individuelle incluent des gants résistants et étanches, des vêtements de travail appropriés et bien entretenus, ainsi que des appareils de protection respiratoire (FFP2) pour les situations à haut risque. Le respect strict des règles d’hygiène, comme le lavage des mains et le nettoyage régulier des vêtements de travail et des conteneurs, est fondamental.

En cas de suspicion de tularémie chez un animal, des précautions supplémentaires incluent le port de lunettes de protection et le mouillage préalable de la fourrure avec un désinfectant avant toute manipulation. Les déchets et cadavres doivent être transportés dans des sacs ou des conteneurs étanches et étiquetés.

Quelques données épidémiologiques…

La tularémie est une maladie à déclaration obligatoire en France, où elle est relativement rare avec 80 à 100 cas déclarés annuellement. La maladie est endémique dans tout l’hémisphère nord, avec des foyers sporadiques en Europe, particulièrement en Scandinavie, en Europe de l’Est et en Turquie.

En Belgique, seuls 14 cas ont été recensés entre 1950 et 2017, dont 11 entre 2012 et 2017. Le nombre de cas a augmenté ces dernières années, avec cinq cas rapportés en 2017. En Europe, le taux de notification en 2015 était de 0,25 pour 100 000 habitants, avec 1 121 cas confirmés, principalement en Suède, en Finlande, en Norvège, en Hongrie et en République tchèque.

Les sous-espèces de F. tularensis occupent des zones géographiques spécifiques : la sous-espèce tularensis prédomine en Amérique du Nord, tandis que la sous-espèce holarctica s’étend dans tout l’hémisphère nord et apparaît en Tasmanie et en Australie. La sous-espèce mediasiatica se limite à l’Asie centrale.

Les facteurs d’exposition à la tularémie varient, incluant le contact avec la faune sauvage, les morsures de tiques et le contact avec des environnements contaminés. La tularémie est une maladie professionnelle reconnue chez les éleveurs, vétérinaires, travailleurs des abattoirs, gardes-chasse, gardes-forestiers et le personnel de laboratoire.

En laboratoire, les contaminations peuvent survenir par voie cutanée, oculaire, orale ou respiratoire. La manipulation des cultures de F. tularensis et des animaux infectés s’effectue dans des laboratoires de sécurité biologique de niveau 3.

Laisser un commentaire