Contrairement à la violette de mars, la carrière thérapeutique de la pensée sauvage a débuté sur le tard. Aucune trace d’elle durant l’Antiquité, quelques rôles symboliques et ornementaux au Moyen-Âge. Le premier intérêt qu’on lui prête ne remonte qu’au XVIe siècle, époque à laquelle le mot « pensée » apparaît. Bien que la plupart des auteurs de la Renaissance lui attribuèrent chacun son petit nom ; jacée (Matthiole), violette flammée (Dodoens), sept couleurs (Gessner), grande jacée (Camérarius), herbe de la trinité (Fuchs), etc. Si la pensée diffère par ses noms, on s’accorde à la tenir comme un excellent remède des affections cutanées chroniques.
Qu’est ce que la pensée sauvage ?
La Pensée sauvage, également connue sous le nom de Pensée tricolore (Viola tricolor), est une plante herbacée courante en Europe, appartenant à la famille des Violaceae. Originaire de l’Europe, elle est l’ancêtre de la pensée cultivée, un terme antérieur à la culture des pensées et lié à la signification symbolique de la violette dans le langage des fleurs.
La Pensée sauvage est une plante annuelle, pluriannuelle ou vivace, présente dans toute l’Eurasie, y compris le Québec, où elle a été introduite. On la trouve dans les prairies rases, les terres en friche, près des cours d’eau, et elle fleurit d’avril à septembre, parfois dès mars dans le Sud-Ouest français.
Elle a une racine de type rhizome, une tige rampante de 10 à 30 cm de longueur, des feuilles alternes pétiolées à marges crénelées, et des fleurs solitaires sur de longs pédoncules. Les fleurs peuvent être violettes, pourpres, bleues, jaunes ou blanches, souvent bicolores, la forme tricolore (jaune, blanche et violette) étant la plus recherchée.
La plante a des propriétés écologiques en tant que plante hôte pour les chenilles de plusieurs papillons. Elle est également utilisée en tisane pour apaiser les nerfs et abaisser la fièvre, ainsi qu’en pommade pour traiter divers problèmes de peau. Elle contient divers composés tels que la violaquercitrine, des salicylates de methyl, des saponines, des vitamines A et C, du tanin, des sucres, de l’albumine, et des résines. Ses fleurs ont également été utilisées pour préparer des colorants, et ses feuilles peuvent servir d’indicateur chimique.
Avant l’apparition des pensées cultivées, la Pensée sauvage était associée à la pensée dans le langage des fleurs, comme en témoigne une célèbre tirade d’Ophelia dans Hamlet de Shakespeare.
Un peu d’histoire
Matthiole la donne comme utile dans la dyspnée et les troubles respiratoires. Culpeper et Camérarius; dans la syphilis. Toutefois, ce sont surtout ses propriétés purifiantes et dépuratives qui l’emportent durant le XVIIIe siècle jusqu’au XIXe.
En tous les cas, la dermatologie s’enrichit des travaux effectués au sujet de la pensée, comme ceux de Jean-Philippe Boecler (Strasbourg, 1732) et de Strack (Mayence, 1779), entre autres, qui mirent en évidence l’efficacité de la pensée sur les croûtes de lait, l’eczéma, l’impétigo, le psoriasis, etc.
Bien des plantes offrent à notre regard des fleurs composées de cinq pétales ; telles l’étoile à cinq branches bleu azur de la bourrache ou la fleur de myosotis confinant au stéréotype de la fleur digne d’une bande dessinée pour enfant, à l’exquise candeur. Emblème du courage pour la première, du souvenir pour la seconde, elles sont notamment toutes deux animées d’une symétrie axiale, ce qui n’est pas le cas de la pensée. Malgré la disproportion de ses pétales, on a vu dans leur nombre celui de l’homme, parce que ce qui lui est propre outre le rire, c’est l’acte de penser.
Quelles sont les principales propriétés pharmacologiques des parties aériennes fleuries de la Pensée sauvage ?
La pensée sauvage jouit d’une longue tradition d’utilisation en médecine traditionnelle et en herboristerie. Les préparations sont élaborées à partir de la partie aérienne de la plante, récoltée en période de floraison. Elle renferme 0,3 % d’acide salicylique et de ses dérivés, ainsi que des acides phénolcarboxyliques, des mucilages, des tanins, des flavonoïdes, des caroténoïdes, des coumarines, de l’umbelliférone, des saponines, de l’acide ascorbique et du tocophérol.
Aux États-Unis, elle est couramment utilisée sous forme de crèmes pour traiter l’eczéma, et elle est prise par voie orale pour la bronchite aiguë. Dans la médecine traditionnelle, on recourt à la pensée sauvage pour ses propriétés dépuratives, diurétiques, cholagogues-cholérétiques, et diaphorétiques. Parfois, elle est également utilisée pour soulager les cauchemars, les insomnies et les troubles du sommeil avec réveils fréquents.
Propriétés dermatologiques
La pensée sauvage est réputée pour ses bienfaits dermatologiques, que ce soit en usage externe ou par voie orale. Cette plante a la capacité de purifier la peau, d’éliminer les microbes et de réguler le pH cutané ainsi que l’excès de sébum.
Si les premières publications scientifiques sur l’activité dermatologique de la pensée sauvage remontent à 1883 (Köhler); il faut attendre 1938 pour que les travaux démontrent son activité thérapeutique dans un modèle d’eczéma, avec mise en évidence d’une amélioration des troubles cutanés après ajout de pensées sauvages fraîches dans l’alimentation pendant 2 mois, comparativement à un groupe témoin. Depuis, de nombreuses publications (la dernière datant de 2009) mentionnent l’intérêt de Viola tricolor dans le traitement de diverses pathologies cutanées ; états séborrhéiques, impétigo, acné et prurit, irritations et démangeaisons vulvaires, éruptions cutanées, eczéma, séborrhée du cuir chevelu du nouveau-né, psoriasis.
Les vertus dépuratives et purifiantes des fleurs et des parties aériennes fleuries de la pensée sauvage en font une option populaire en phytothérapie. Les préparations de Viola tricolor exercent une activité antimicrobienne, les plus efficaces étant les extractions aqueuses et alcooliques. Celles-ci ont montré un effet inhibiteur, significatif contre Staphylococcus aureus, Bacillus cereus, Staphylococcus epidermidis et Candida albicans, et modérés contre Pseudomonas aeruginosa, Enterococcus faecalis, Escherichia coli et Klebsiella pneumoniae. Les préparations les moins efficaces sont celles qui ont une forte sélectivité moléculaire, ce qui suggère une action synergique des différents composants présents dans les autres extractions. Les cyclotides sont notamment responsables de cet effet.
Propriétés antioxydantes et immunitaires
En utilisant la méthode TEAC, un extrait hydroalcoolique de feuilles ou de fleurs de pensée sauvage fraîche a révélé une activité antioxydante, celle-ci étant au moins équivalente à celle de plantes reconnues pour avoir cette propriété, comme le ginkgo biloba. Plus récemment, deux méthodes (TEAC et DPPH) utilisées pour évaluer le pouvoir antioxydant de différentes fractions d’extraction de pensée sauvage ont montré que les composants polaires ont une meilleure activité; parmi ceux-ci on retrouve des flavonoïdes comme la rutine et la violanthine.
Grâce à la méthode de chromatographie en phase liquide à haute performance (HPLC) qui s’est avérée linéaire, sensible, précise, spécifique et robuste pour quantifier la rutine dans l’extrait de pensée sauvage, il a été montré sue la capacité antioxydante de Viola tricolor peut être attribuée aux grandes quantités de polyphénols, de flavonoïdes et de tanins condensés qu’elle contient.
Dans un modèle in vitro d’ischémie et de neurodégénérescence, l’extrait hydroalcoolique de V. tricolor protège les neurones contre la mort cellulaire induite par la privation de sérum/glucose. Cette activité est attribuée, au moins en partie, à ses propriétés antioxydantes sur les formes réactives de l’oxygène (FRO).
L’extrait aqueux de pensée sauvage est immunosuppresseur; activité attribuée à ses cytoclides, aux propriétés cytotoxiques bien identifiées, qui interfèrent avec la polyfonctionnalité des lymphocytes T, et bloquent la prolifération de cellules immunocompétentes. Plus précisément, ils inhibent la prolifération de lymphocytes activés en réduisant la sécrétion de cytokines IL-2 sans affecter l’expression du récepteur de l’interleukine-2 (IL-2), et en réduisant la production d’interféron gamma (IFN-y) et de facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-α).
V. tricolor exerce une activité anticancéreuse potentielle en induisant l’apoptose, comme le montre l’action de différents types d’extraits de la plante, étudiés sur des cellules de neuroblastome de souris et de cancer du sein humain. Elle possède la capacité d’inhiber l’angiogenèse.
Propriétés anti-inflammatoires
Dans un modèle d’inflammation aiguë, l’effet de l’administration de teinture mère de pensée sauvage a été évalué. Bien que ses effets soient modérés comparativement à un anti-inflammatoire de référence; la pensée sauvage a permis de limiter significativement le nombre de leucocytes, le nombre de phagocytes et leur activité, ainsi que la production de monoxyde d’azote (= oxyde nitrique = NO) par rapport au groupe contrôle.
Dans un modèle d’érythème solaire, un gel à base de Viola tricolor a montré un effet antinociceptif et anti-inflammatoire sur les brûlures induites par les U.V-B, en maintenant la température au-dessous de 25°C.
In vivo, dans un modèle d’asthme chronique, un extrait hydroalcoolique de fleurs de Viola tricolor a montré des effets anti-inflammatoires, via l’inhibition de la production de cytokines de type 2 (Th2); ce qui semble valider son utilisation empirique en médecine traditionnelle.
Autres propriétés
La pensée sauvage présente une diversité d’applications thérapeutiques. Ses propriétés diurétiques sont bénéfiques pour soulager la cystite en favorisant l’élimination des chlorures, tout en agissant comme un laxatif doux bénéfique pour les troubles digestifs. Elle apporte un soulagement aux douleurs associées aux rhumatismes grâce à ses propriétés antalgiques et antispasmodiques légères.
En cas de toux accompagnant des affections respiratoires caractérisées par une sécrétion excessive de mucus, la pensée sauvage agit comme un expectorant, apaisant la toux due à des affections telles que la bronchite, la coqueluche et d’autres problèmes similaires. Dans le domaine des affections respiratoires, la pensée sauvage est préconisée pour traiter les inflammations des muqueuses des voies respiratoires, notamment lorsqu’elles sont associées à une hypersécrétion, comme dans le cas de l’asthme, de la bronchite aiguë, de la coqueluche et de la trachéite.
La pensée sauvage peut également avoir des effets apaisants sur la nervosité, l’insomnie et les troubles du sommeil liés à des cauchemars. En usage externe, elle peut être utilisée en tant que bain de bouche pour l’hygiène buccale et comme lotion capillaire pour contrôler les cheveux gras. De plus, elle peut être bénéfique pour les problèmes circulatoires tels que les varices et les crises hémorroïdaires.
En ce qui concerne les problèmes urinaires, la pensée sauvage peut être utilisée pour traiter des affections telles que les néphrites et les coliques néphrétiques. Enfin, des études ont révélé que la pensée sauvage peut avoir un effet positif dans la réduction des inflammations provoquées par une exposition excessive aux rayons UVB.
Existe-t-il des précautions d’emploi concernant la Pensée sauvage ?
La pensée sauvage ne doit pas être utilisée sur des plaies ouvertes ou sur des zones de peau gravement endommagées. L’Agence européenne des médicaments (EMA), en 2010, ne recommande pas l’utilisation de la pensée sauvage chez les femmes enceintes, les femmes allaitantes et les enfants de moins de 12 ans, en raison du manque de données suffisantes.
En raison de la présence de coumarines et de salicylates, il est recommandé d’utiliser la pensée sauvage avec précaution chez les personnes prenant des anticoagulants, car elle pourrait avoir des effets additifs. Il convient de surveiller cliniquement les patients et de contrôler leur INR. Il est important de noter que la racine de la pensée sauvage peut provoquer des vomissements, tout comme celle de la violette.
Les compléments alimentaires à base de pensée sauvage sont déconseillés aux femmes enceintes, aux femmes allaitantes et aux enfants. Ils sont également contre-indiqués chez les personnes présentant une affection dermatologique étendue ou une plaie ouverte. En cas de doute et avant de commencer une cure phytothérapeutique, il est recommandé de demander conseil à un professionnel de santé.
Mis à part les contre-indications précédemment mentionnées, aucun effet secondaire majeur n’a été recensé lors de l’utilisation de la pensée sauvage. La pensée sauvage peut interagir avec certains médicaments antihypertenseurs. Par conséquent, il est conseillé aux personnes suivant un traitement médical contre l’hypertension de consulter un professionnel de santé avant de commencer un traitement à base de pensée sauvage.
Comment prendre la Pensée sauvage et à quel dosage ?
La pensée sauvage est récoltée dans son environnement naturel, loin des zones agricoles traitées avec des produits phytosanitaires. La période idéale pour la cueillette se situe pendant sa période de floraison, généralement de avril à septembre. Il est essentiel de prendre des précautions pour éviter que les fleurs ne perdent leur couleur. Cela nécessite une cueillette matinale, un séchage rapide à l’abri d’une chaleur excessive et de la forte lumière du soleil.
La pensée sauvage est également disponible à l’achat en pharmacie ou en herboristerie. Elle peut être utilisée de diverses manières. Lorsqu’elle est sous forme de compléments alimentaires, la posologie recommandée pour la poudre de pensée sauvage se situe généralement entre 270 et 800 mg par jour. Cependant, cette posologie peut varier en fonction du produit et de l’extrait utilisé. De plus, la posologie peut être différente lorsque la pensée sauvage est combinée à d’autres extraits naturels. Il est donc important de suivre les recommandations spécifiques du produit que l’on utilise.
- En complément alimentaire, sous forme de poudre, en gélules.
- Extrait fluide de plante fraîche standardisé pour préparation officinale : 5 à 10 ml par jour dans un verre d’eau.
- Extrait fluide glycériné miellé : 5 ml 2 fois par jour dans de l’eau.
- Infusion : 1 à 2 cuillères de parties aériennes fleuries séchées, infuser 10 min, 1 tasse 1 à 3 fois par jour.
- Extrait hydroalcoolique : 20 à 40 gouttes 2 à 3 fois/jour dans un verre d’eau.
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