Contrairement à la violette de mars, la carrière thérapeutique de la pensée sauvage a débuté sur le tard. Aucune trace d’elle durant l’Antiquité, quelques rôles symboliques et ornementaux au Moyen-Âge. Le premier intérêt qu’on lui prête ne remonte qu’au XVIe siècle, époque à laquelle le mot « pensée » apparaît. Bien que la plupart des auteurs de la Renaissance lui attribuèrent chacun son petit nom ; jacée (Matthiole), violette flammée (Dodoens), sept couleurs (Gessner), grande jacée (Camérarius), herbe de la trinité (Fuchs), etc. Si la pensée diffère par ses noms, on s’accorde à la tenir comme un excellent remède des affections cutanées chroniques.
Un peu d’histoire
Matthiole la donne comme utile dans la dyspnée et les troubles respiratoires. Culpeper et Camérarius; dans la syphilis. Toutefois, ce sont surtout ses propriétés purifiantes et dépuratives qui l’emportent durant le XVIIIe siècle jusqu’au XIXe.
En tous les cas, la dermatologie s’enrichit des travaux effectués au sujet de la pensée, comme ceux de Jean-Philippe Boecler (Strasbourg, 1732) et de Strack (Mayence, 1779), entre autres, qui mirent en évidence l’efficacité de la pensée sur les croûtes de lait, l’eczéma, l’impétigo, le psoriasis, etc.
Bien des plantes offrent à notre regard des fleurs composées de cinq pétales ; telles l’étoile à cinq branches bleu azur de la bourrache ou la fleur de myosotis confinant au stéréotype de la fleur digne d’une bande dessinée pour enfant, à l’exquise candeur. Emblème du courage pour la première, du souvenir pour la seconde, elles sont notamment toutes deux animées d’une symétrie axiale, ce qui n’est pas le cas de la pensée. Malgré la disproportion de ses pétales, on a vu dans leur nombre celui de l’homme, parce que ce qui lui est propre outre le rire, c’est l’acte de penser.
Quelles sont les principales propriétés pharmacologiques des parties aériennes fleuries de la Pensée sauvage ?
Propriétés dermatologiques :
Si les premières publications scientifiques sur l’activité dermatologique de la pensée sauvage remontent à 1883 (Köhler); il faut attendre 1938 pour que les travaux démontrent son activité thérapeutique dans un modèle d’eczéma, avec mise en évidence d’une amélioration des troubles cutanés après ajout de pensées sauvages fraîches dans l’alimentation pendant 2 mois, comparativement à un groupe témoin. Depuis, de nombreuses publications (la dernière datant de 2009) mentionnent l’intérêt de Viola tricolor dans le traitement de diverses pathologies cutanées ; états séborrhéiques, impétigo, acné et prurit, irritations et démangeaisons vulvaires, éruptions cutanées, eczéma, séborrhée du cuir chevelu du nouveau-né, psoriasis.
Propriétés antioxydantes et immunitaires :
En utilisant la méthode TEAC, un extrait hydroalcoolique de feuilles ou de fleurs de pensée sauvage fraîche a révélé une activité antioxydante, celle-ci étant au moins équivalente à celle de plantes reconnues pour avoir cette propriété, comme le ginkgo biloba. Plus récemment, deux méthodes (TEAC et DPPH) utilisées pour évaluer le pouvoir antioxydant de différentes fractions d’extraction de pensée sauvage ont montré que les composants polaires ont une meilleure activité; parmi ceux-ci on retrouve des flavonoïdes comme la rutine et la violanthine.
Grâce à la méthode de chromatographie en phase liquide à haute performance (HPLC) qui s’est avérée linéaire, sensible, précise, spécifique et robuste pour quantifier la rutine dans l’extrait de pensée sauvage, il a été montré sue la capacité antioxydante de Viola tricolor peut être attribuée aux grandes quantités de polyphénols, de flavonoïdes et de tanins condensés qu’elle contient.
Dans un modèle in vitro d’ischémie et de neurodégénérescence, l’extrait hydroalcoolique de V. tricolor protège les neurones contre la mort cellulaire induite par la privation de sérum/glucose. Cette activité est attribuée, au moins en partie, à ses propriétés antioxydantes sur les formes réactives de l’oxygène (FRO).
L’extrait aqueux de pensée sauvage est immunosuppresseur; activité attribuée à ses cytoclides, aux propriétés cytotoxiques bien identifiées, qui interfèrent avec la polyfonctionnalité des lymphocytes T, et bloquent la prolifération de cellules immunocompétentes. Plus précisément, ils inhibent la prolifération de lymphocytes activés en réduisant la sécrétion de cytokines IL-2 sans affecter l’expression du récepteur de l’interleukine-2 (IL-2), et en réduisant la production d’interféron gamma (IFN-y) et de facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-α).
V. tricolor exerce une activité anticancéreuse potentielle en induisant l’apoptose, comme le montre l’action de différents types d’extraits de la plante, étudiés sur des cellules de neuroblastome de souris et de cancer du sein humain. Elle possède la capacité d’inhiber l’angiogenèse.
Propriétés anti-inflammatoires :
Dans un modèle d’inflammation aiguë, l’effet de l’administration de teinture mère de pensée sauvage a été évalué. Bien que ses effets soient modérés comparativement à un anti-inflammatoire de référence; la pensée sauvage a permis de limiter significativement le nombre de leucocytes, le nombre de phagocytes et leur activité, ainsi que la production de monoxyde d’azote (= oxyde nitrique = NO) par rapport au groupe contrôle.
Dans un modèle d’érythème solaire, un gel à base de Viola tricolor a montré un effet antinociceptif et anti-inflammatoire sur les brûlures induites par les U.V-B, en maintenant la température au-dessous de 25°C.
In vivo, dans un modèle d’asthme chronique, un extrait hydroalcoolique de fleurs de Viola tricolor a montré des effets anti-inflammatoires, via l’inhibition de la production de cytokines de type 2 (Th2); ce qui semble valider son utilisation empirique en médecine traditionnelle.
Propriétés antimicrobiennes :
Les préparations de Viola tricolor exercent une activité antimicrobienne, les plus efficaces étant les extractions aqueuses et alcooliques. Celles-ci ont montré un effet inhibiteur, significatif contre Staphylococcus aureus, Bacillus cereus, Staphylococcus epidermidis et Candida albicans, et modérés contre Pseudomonas aeruginosa, Enterococcus faecalis, Escherichia coli et Klebsiella pneumoniae. Les préparations les moins efficaces sont celles qui ont une forte sélectivité moléculaire, ce qui suggère une action synergique des différents composants présents dans les autres extractions. Les cyclotides sont notamment responsables de cet effet.
Autres propriétés :
- Diurétique
- Anticonvulsivante
Existe-t-il des précautions d’emploi concernant la Pensée sauvage ?
Contre-indications :
- Contre-indiquée sur plaies ouvertes, zones étendues de peau endommagée.
Précautions d’emploi :
- En l’absence de donnée suffisante, l’EMA, en 2010, ne recommande pas l’utilisation de la pensée sauvage chez la femme enceinte ou allaitante, ainsi que chez l’enfant de moins de 12 ans.
- En raison de la présence de coumarines et de salicylates, il est conseillé d’utiliser avec précaution la pensée sauvage chez les sujets sous anticoagulants (surveillance clinique et de l’INR), car elle pourrait avoir des effets additifs.
Comment prendre la Pensée sauvage et à quel dosage ?
Forme sèche :
- En complément alimentaire, sous forme de poudre, en gélules.
Forme liquide :
- Extrait fluide de plante fraîche standardisé pour préparation officinale : 5 à 10 ml par jour dans un verre d’eau.
- Extrait fluide glycériné miellé : 5 ml 2 fois par jour dans de l’eau.
- Infusion : 1 à 2 cuillères de parties aériennes fleuries séchées, infuser 10 min, 1 tasse 1 à 3 fois par jour.
- Extrait hydroalcoolique : 20 à 40 gouttes 2 à 3 fois/jour dans un verre d’eau.
Sources bibliographiques médicales et essais cliniques :
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