Nous savons que le bon fonctionnement de l’organisme en état de santé est assuré par une multitude de systèmes physiologiques d’autorégulation. Nous sommes en effet perpétuellement soumis, au cours de notre vie, à des agressions de différentes origines (physiques, chimiques, bactériennes, psychiques, etc.) que, grâce à nos systèmes d’autorégulation, nous subissons sans dommage et sans nous en rendre compte. Toutefois, si ces agressions deviennent trop intenses par rapport aux possibilités réactionnelles de notre organisme, nos systèmes d’autorégulation sont débordés et nous montrons des signes de souffrance ; nous présentons alors des réactions anormales qui peuvent toucher différents appareils et se traduisent par des symptômes objectifs et subjectifs pouvant se matérialiser en pathologies chroniques.
Cependant, pour une même agression, les différents organismes ne réagissent pas tous de la même façon. Par exemple, pour un même agent pathogène, certains sujets vont présenter une angine, une bronchite, une sinusite ou une diarrhée… tandis que d’autres (plus résistants) resteront cliniquement indemnes de toute manifestation pathologique.
Qu’est-ce que la notion de terrain ?
Chaque individu présente un « terrain » différent qui détermine pour chacun sa façon de réagir devant une agression donnée. Cette notion de terrain domine la clinique et la thérapeutique en pathologie chronique. Elle est nettement perçue et reconnue par tous les cliniciens qui constatent journellement que les individus traversent différemment la maladie. Ce, en fonction de leurs particularités personnelles, de leur « terrain individuel » cliniquement évident mais difficile à définir en l’état actuel de nos connaissances.
La meilleure façon de comprendre cette importante notion est notamment d’étudier son évolution historique depuis Hahnemann.
L’approche de pathologies chroniques faite par Hahnemann
Après avoir défini et codifié l’homéopathie dans les dernières années du XVIIe siècle, Hahnemann constate par sa pratique, au cours des quinze premières années du XIXe siècle, qu’il obtient de très bons résultats dans le traitement de la pathologie aiguë.
La réflexion devant les difficultés en pathologie chronique :
Hahnemann se rend compte que; s’il applique la méthode d’un traitement de pathologie aiguë qu’il a préconisée à un malade chronique; c’est-à-dire s’il donne au patient le ou les médicaments dont les signes pathogénétiques correspondent aux symptômes présentés ou ressentis au moment de la consultation, il obtient des résultats beaucoup moins évidents. Il assiste donc à des rechutes des phénomènes pathologiques traités. En fait, il est en présence d’échecs thérapeutiques partiels ou totaux.
La comparaison avec la Syphilis :
Pour bien comprendre les conclusions auxquelles arrive Hahnemann, il faut se replacer dans le contexte historique.
À cette époque, on confondait syphilis, blennorragie et maladie de Nicolas-Favre.
Pour éviter les inconvénients des thérapies barbares de l’époque concernant la syphilis; il recommandait l’usage d’un sel soluble de mercure, dont il avait codifié la préparation, à doses non toxiques, juste suffisantes pour provoquer la fièvre mercurielle à laquelle il attribuait la guérison de la maladie.
Entre les années 1810-1820, contre l’opinion des vénérologues classiques d’alors, Hahnemann va séparer la blennorragie de la syphilis.
Comme moyen thérapeutique, il conseille l’utilisation, à doses infinitésimales, de son mercure soluble (qui est en fait un nitrate de mercure et d’ammonium) qu’il considère comme le médicament spécifique de la syphilis.
Il n’est pas interdit de penser, avec le recul du temps, que les bons résultats thérapeutiques qu’il obtenait aient été à la fois la conséquence :
- De l’arrêt des doses toxiques de préparations mercurielles.
- De l’élimination, sous l’effet de doses infinitésimales de sels mercuriaux, du mercure fixé dans les organismes.
Quoi qu’il en soit, la syphilis va devenir pour Hahnemann l’exemple type de la maladie chronique infectieuse ou « miasmatique » comme on disait à cette époque où la bactériologie n’était pas encore née. (Louis Pasteur a vécu de 1822 à 1895).
Les trois « maladies chroniques » de Hahnemann
Hahnemann décrit trois miasmes responsables de trois « maladies chroniques » d’importances très différentes. Deux sont à contage vénérien, l’autre est à contage cutané :
- La sycose, la moins importante de toutes, se traduit essentiellement par des végétations cutanées, surtout génitales, qui succèdent à la gonorrhée ; elle est la conséquence du miasme blennorragique.
- La syphilis ou maladie vénérienne chancreuse, plus répandue que la précédente, est la conséquence du miasme syphilique.
- La psore, la plus répandue de toutes (7/8 des malades selon Hahnemann), est consécutive à un miasme cutané (la gale) qu’il n’est pas toujours facile de mettre en évidence par l’anamnèse.
La thérapeutique des malades chroniques selon Hahnemann :
Pour lui, toutes les maladies chroniques peuvent se soigner radicalement par un traitement interne avec le ou les médicaments spécifiques au miasme causal. Il suffit de traiter la maladie au moment de son éruption cutanée primaire, car on traite ainsi la maladie entière : maladie interne + manifestation cutanée.
- La syphilis trouve son médicament spécifique dans des doses infinitésimales de Mercurius solubilis.
- La sycose est guérie par des doses de Thuya occidentalis alternées avec des doses de Nitricum acidum.
- Quant à la psore, ses manifestations cliniques sont très variées et protéiformes.
Le chef de file des médicaments « antipsoriques », selon le terme utilisé par Hahnemann, est Sulfur mais, la plupart du temps, le cas pathologique étant ancien ou compliqué, il faudra recourir aux 47 médicaments étudiés dans le traité de « Maladies chroniques ».
Technique d’approche des malades chroniques selon Hahnemann
Après tous ces prolégomènes, Hahnemann donne alors les conseils pratiques pour la recherche des médicaments homéopathiques face à un malade chronique. En homéopathie, on ne doit pas seulement s’intéresser aux symptômes présents ou aux symptômes actuels, mais aussi à toute la symptomatologie antérieure à la consultation, à toute la symptomatologie évolutive de la maladie dans le temps et dans l’espace.
Nous devons aborder les symptômes comme un ensemble somatique et psychique indissociable en « considérant l’état entier de la personne », en s’intéressant à l’étiologie des troubles à soigner (antécédents personnels et héréditaires, conditions d’apparition ou entretien des troubles, hygiène de vie personnelle ou professionnelle), en tenant également compte du type sensible de la personne (caractère, esprit, constitution).
Sources bibliographiques médicales et essais cliniques :
- Denis Demarque. « Homéopathie ; Médecine de l’expérience ». Maisonneuve, 1982
- J.L Cal, F. Larue, J. Guillemain et J. Cambar. « Influence de la durée du prétraitement sur l’effet protecteur de Mercurius corrosivus vis-à-vis de la toxicité (…) » ; Homéopathie française, 1986
- Samuel Hahnemann. « Doctrine et traitement homéopathique des maladies chroniques », traduit par A.J.L. Jourdan, 1846